La situation de pandémie sera décrétée d’ici peu de jours par l’OMS. Elle suscite pour moi, un exercice de prospective qui me fait entrevoir à l’immédiat, un drame pour les malades infectés et décédés ; A moyen terme, un drame humain social à vivre face à la crise économique, possiblement financière, qui va survenir de cette crise sanitaire ; A long terme, et selon l’ampleur, un monde économique et géopolitique transformé.
Une planète business au ralenti est économiquement intenable
Le temps 2-3 semaines que le virus se répande en Amérique du Nord comme il se répand actuellement en Europe, alors toutes les plus grandes économies du monde seront touchées. Et la Chine n’aura pas redémarré ses productions qui vont manquer à nos entreprises sous quinzaine. La planète business s’apprête à tourner au ralenti pour plusieurs semaines avec des impacts plus ou moins sévères selon les secteurs économiques. On parle beaucoup du tourisme, mais il est à prévoir des chaines de production automobile ou de biens manufacturés mises à l’arrêt.
Pour certains secteurs de production, une partie des flux non produits pourront être compensés par après. Mais en hôtellerie, en restauration, en production maraîchère, les salons et spectacles,… ce qui est perdu est irrattrapable.
L’Etat annonce garantir des prêts de trésorerie pour ces entreprises. Sur 2-3 mois d’activité réduite, cela peut se concevoir avec des remboursements bien échelonnés. Au-delà et selon retour à la « normale », c’est juste intenable pour nombre d’entreprises petites et moyennes qui seront en cessation d’activités et de paiement. Les prêts d’investissements risquent de ne pas être honorés et ce sera l’engrenage d’une crise financière globale. Nous en aurons les prémices via la Chine où la production manufacturière et la consommation sont au plus bas historique en février. De l’impensable théorique et pourtant bien réel. Et, dans l’économie chinoise personne ne connaît exactement l’ampleur de l’endettement des entreprises.
Côté épargne, le comportement des investisseurs en bourses et des ménages est à suivre de près. La moindre perte de confiance et c’est la dégringolade. La communication étatique est à ce jour positive, rassurante. La confiance sera inversement proportionnelle au nombre de cas et de morts. Mais surtout à la propagation de la contamination ou non dans de grandes agglomérations. Peut-on imaginer la réaction de la population parisienne avec 10, 20 ou 100 cas déclarés intra-muros ?
Le fil est très ténu pour endiguer la crise sanitaire. Dans les pays occidentaux, nous avons des moyens, des techniques et des personnels sanitaires performants et engagés, mais ce ne sont pas des pays à régime totalitaire pour imposer et faire respecter des confinements de masse. Un bon test pour la conscience citoyenne.
Vers une récession économique mondiale
Les semaines de mars vont donc être capitales pour la propagation mondiale de Covid-19 et ensuite la permanence d’apparition ou de résurgence des cas sera un autre facteur d’incertitude (en partie lié au comportement du virus et aux capacités de confinement de certains pays moins bien dotés sur le plan sanitaire).
Au mieux, selon les projections OCDE établies à ce jour, il y aura une récession économique internationale de l’ordre de 0,5 point de croissance ; Au pire, avec une propagation mal maîtrisée, la chute pourrait être de 1,5 point avec des pays du sud-est asiatique en forte difficulté et certains pays de l’UE en récession. Et avec ces scénarios strictement économiques, l’impact sur la confiance boursière n’est pas évalué (ne peut pas l’être). Donc, dans le scenario du pire, une crise financière est loin d’être à exclure.
La chute de 1,5 point de croissance annuel au niveau mondial, mais concentrée sur un quadrimestre, n’a guère d’équivalent vécu. Cette crise à prévoir n’est pas maîtrisable comme les précédentes car elle est liée à une pandémie, phénomène naturel donc difficile à maîtriser. Et certainement pas maîtrisable par des mesures de taux d’intérêt ou d’injection de masse monétaire, car les marges de manoeuvre des Etats sont réduites face à des charges d’endettement déjà lourdes. Et si d’une crise économique avec chômage et cessations d’activités, on passe à une crise financière l’amplifiant, il n’y aura guère de soutien à attendre du système bancaire. Lui-même sera confronté à la faiblesse de certains maillons et, sans soutien étatique, de possibles faillites retentissantes aux effets « domino » dévastateurs sont des possibles à considérer.
Et alors, ce risque conséquent de méga-crise peut survenir dans un monde géopolitique distendu, fragilisé, avec des dirigeants politiques aux visions nationalistes à la tête de pays majeurs. Il y a des antagonismes affichés qui peuvent être exacerbés dans ce contexte où certains ne manqueront pas de fustiger la Chine. Un repli sur soi, nombriliste, serait dommageable car amplificateur des problèmes économiques systémiques.
Plusieurs pandémies ont changé le cours de l’Histoire : il y aura un avant et un après Covid-19
En prospective, Covid-19 est un effet rupture. Il y a avant et après.
Déjà le monde économique a pris conscience de plein fouet de l’erreur stratégique d’avoir concentré trop de productions, souvent massifiées, en Chine. Le risque stratégique de la carte des achats de grands groupes n’a jamais été évalué sur le scénario d’une économie bloquée et encore moins sur celle d’un pays comme la Chine représentant 8% du PIB mondial. Et pour cause, dans nombre de réflexions stratégiques, une telle hypothèse est souvent qualifiée de saugrenue (genre attentat avec des avions sur le World Trade Center).
Rien que pour les bases pharmaceutiques nécessaires à la confection de nombre de médicaments, l’essentiel des productions est actuellement à l’arrêt en Chine avec comme risque aggravant, la rupture de médicaments au niveau mondial, en pleine pandémie.
Toutes les productions manufacturières de biens durables présentent une chaîne d’approvisionnement ayant des maillons en Chine.
Paraphrasant Lamartine : « Un seul être (élément) vous manque et tout est dépeuplé (anéanti) », nous serons amenés à réfléchir aux implications de choix, souvent purement cupides, liés aux coûts directs et à la rentabilité financière dans des modèles d’économie libérale et financière qui vont montrer leurs limites de vulnérabilité.
Surtout cette crise va faire ressurgir la montée du chômage dans un climat social déjà tendu dans nombre de pays. Moins la contamination sera contenue et plus la crise économique sera impactante, plus la colère sociale sera forte et vive, en France comme ailleurs. Cela peut aller jusqu’à des situations insurrectionnelles de masse, non gérables par des forces de l’ordre, qui peuvent se produire avec des effets géopolitiques majeurs. Certains voient déjà le régime chinois en être affecté. Comme dit plus avant, avec la survenance de tels mouvements dans un monde géopolitique distendu, fragilisé, avec des dirigeants politiques aux visions nationalistes, les scénarios peuvent être extrêmes.
Nous avons tous mémoire de pandémies qui ont changé le cours de l’Histoire, genre la peste noire qui a provoqué la chute de l’empire byzantin. Covid-19 en présente tous les ingrédients, sauf sa mortalité humaine – et heureusement pour ne pas surajouter aux paniques générales.
Se mettre en proactivité pour le monde d’après
Donc il y aura un après Covid-19 dans un monde économique, social et géopolitique revu et corrigé à 5-10 ans selon l’ampleur des effets systémiques. Et c’est en cela qu’il faut être proactif dès aujourd’hui : pour anticiper et pour maîtriser les moments d’après par chacune de nos entreprises. Et n’oublions pas la conjonction des faits avec un autre phénomène naturel : le dérèglement climatique qui, lui, ne sera pas contaminé.
Après les réactivités, quelles sont les tendances en mouvement ou en émergence qui peuvent engendrer ce futur ?
D’abord les réactivités assez évidentes :
- La dépendance à la Chine va être remise en cause et ce ne sera pas sans des frictions diplomatiques (déjà existantes). Son leadership économique annoncé est donc remis en question. De même pour son hégémonie géopolitique sur l’Asie du Sud-Est et sur les projets de routes de la soie.
- Le risque achats et la refonte des stratégies d’approvisionnements des grands groupes sont à revoir. Les Etats vont aussi qualifier des productions à niveau « stratégique national ».
- Les cartes industrielles sectorielles sont à redéfinir en dimensionnement et en localisation de structures avec des productions proches des maillages de consommation. La mondialisation de l’économie se reconstruira sur ces bases avec une remodélisation des flux logistiques (ex : impact sur les compagnies maritimes et aériennes ?)
Des tendances déjà en mouvement vont être amplifiées :
- L’économie de proximité sera boostée avec des modèles économiques donnant plus de place aux maraîchages, trocs, échanges de compétences,… Sur des valeurs de partage et de solidarité.
- Dans son sillage, l’économie circulaire sera modélisée, selon les usages et les matières, à l’échelle de pays, de territoires régionaux, de bassins de vie et certainement en appui sur des préceptes environnementaux
- Pour chaque secteur économique, il faut construire des scenarios de forte remise en cause des fondamentaux. Exemple : la croissance mondiale du secteur du tourisme ne sera pas celle projetée actuellement à 2050. Conséquences : baisse du trafic aérien (déjà sensible à ce jour) et donc de l’industrie aéronautique (quel impact pour Toulouse ?) / Abandon d’infrastructures d’hébergements dans le monde (genre Tunisie après la révolution de 2010) / Combien de pays dont l’économie sera réduite à quasi rien (genre République Dominicaine, Maldives, Thaïlande, Ile Maurice) ? / Quid des pays ayant bâti des hubs aériens genre Dubaï ?
En cas de crise économique et financière majeure, des scénarios systémiques bien au-delà de l’économique sont possibles :
- Imaginons des grands groupes supranationaux se positionnant en sauveurs de l’économie face à des gouvernements trop exangues. Certains utilisant leur trésorerie pléthorique pour sauver des banques. Google et Facebook en maîtres des datas, donc de l’information sur qui est qui et qui fait quoi. Les futurs maîtres avoués ou cachés ?
- Amazon, surendetté et basé sur un système de distribution coûteux (et très « carboné »), face à des changements de comportements et l’émergence de l’économie de proximité, sera certainement très vulnérable pour sa pérennité.
- Quelle reprise en mains du politique sur l’économique ? Si c’est dans un chacun pour soi, c’est illusoire. Si c’est dans un sursaut de multilatéralisme, il y a des ouvertures. Mais pour ce faire, il faut l’émergence de leaders forts.
- Pourquoi pas un partage géopolitique du monde couplé à des écosystèmes géographiques, genre Yalta des années 2020 ?
Le printemps 2020 de tous les dangers pour de nouveaux possibles
Ainsi Covid-19 est un virus qui rend malade, qui peut tuer, mais qui a en germe des effets systémiques non sanitaires potentiellement dévastateurs à court terme, donc fondateurs pour l’après. Et l’après Covid-19 est à penser dès maintenant alors qu’il faudra gérer des urgences fortes, voire dangereuses. Je peux me tromper – et je le souhaite quant à l’ampleur de la crise induite par Covid-19. Le début des réponses sera durant ce printemps. Aux dirigeants politiques et d’entreprises de s’atteler à anticiper l’après Covid-19.
Soyons vigilants et anticipateurs !
On peut en échanger d’ici l’été 2020 pour un diagnostic prospectif personnalisé pour votre entreprise ou votre collectivité territoriale.
Bruno HUBERT / 06 74 75 25 84 ou bhubert@consilio-rh.fr